Louis-Gilles Francoeur
Le Devoir - Édition du vendredi 7 juillet 2006
Ce ne sont pas des centaines de milliers mais des millions de touristes qui passent au détecteur de métal dans les aéroports partout dans le monde depuis quelques semaines. Mais on ne parle pas, pour l’instant du moins, de cette énorme contribution au réchauffement de la planète, qui va inexorablement tuer bien des beautés naturelles que nos affamés de nature vont visiter. Écotourisme ou pas, c’est polluant si on choisit l’avion comme moyen de transport : l’avion émet en moyenne 19 fois plus de gaz à effet de serre (GES) que le train. Le transport aérien en émet 190 fois plus que le transport maritime. Imaginez la facture environnementale des fleurs et des produits périssables qui voyagent en avion pour nous parvenir bien frais... Un aller-retour en Europe équivaut aux émissions d’une petite voiture pendant un an ! Nos jet-setters sont donc d’énormes pollueurs, qui vont généralement conduire un gros 4X4 européen de ce côté-ci de l’Atlantique. Belle illustration du privilège de polluer libéralement qu’on accorde à nos riches !
Globalement, l’aviation est responsable de 4 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine chaque année. Mais sa contribution atteindra minimalement 15 %, dépassant même l’agriculture, d’ici 20 ans. Plusieurs scénarios évoquent même la possibilité qu’elle représente 25 % des émissions anthropiques d’ici 2030 en raison notamment de la part déclinante des autres sources qu’on aura placées sous contrôle étatique.
C’est surtout en Angleterre que la bataille de l’aviation et du climat fait l’objet d’un débat public. La campagne Rethink !, menée par le groupe AirportWatch, remet en question le développement de nouveaux aéroports dans ce pays en raison de ses impacts environnementaux multiples et dévastateurs. Les signataires de Kyoto ont reporté la question des émissions de l’aviation car il n’est pas facile de savoir à qui les attribuer quand un avion part de Montréal, passe par Amsterdam et atterrit à Hambourg. La solution la plus logique consisterait à facturer à chaque client la facture de ses GES, particulière à son trajet, qu’on obtiendrait en divisant la consommation de pétrole de l’avion par le nombre de ses passagers. Il s’agirait d’une véritable taxe universelle sur le carbone.
Il existe plusieurs sites Internet qui permettent de calculer les émissions moyennes d’un voyage en avion et ce qu’il en coûterait pour fournir à une fondation l’argent qui permettrait de financer l’effacement du gaz carbonique associé à ce voyage. Sur le site www.climatecare.org, on apprend ainsi qu’un aller-retour Montréal-Paris dégage 1,5 tonne de CO2, un Montréal-Moscou, 1,9 tonne, et un Montréal-Tokyo, trois tonnes. Aux prix actuels de la tonne de CO2 sur le marché européen, une fondation environnementale peut acheter des réductions équivalentes d’émissions, réalisées quelque part sur la planète, pour 23 $ dans le cas du voyage à Paris, pour 30 $ vers Moscou et pour 46 $ dans le cas du voyage au Japon. Ce n’est pas si cher, à bien y penser, et plusieurs le font déjà volontairement. Mais si tout le monde le faisait en vertu d’une règle universelle, quel changement pour la planète ! En effet, ces quelques dollars, multipliés par les millions de touristes, financeraient des milliers de projets validés selon le protocole de Kyoto.
Les émissions de CO2 de l’aviation civile sont d’autant plus importantes qu’étant émises directement dans la haute atmosphère terrestre, elles ont deux fois plus de pouvoir de captage du rayonnement solaire si on les compare à celles des voitures au sol. Le gouvernement britannique a calculé que les émissions liées à l’aviation correspondront à 44 millions de tonnes de CO2 en 2030 ou à 45 % des émissions de ce pays si on tient compte de cet effet multiplicateur que personne ne prend en compte à l’heure actuelle, y compris les militaires...
Ce débat a entraîné la création de plusieurs fondations qui agissent comme courtiers d’émissions pour les individus, en Europe comme en Amérique et même ici au Québec, où un projet est en préparation. En plus du touriste qui voyage par avion, un automobiliste pourra aussi faire calculer chaque année les émissions de sa voiture et afficher sur son véhicule par un sigle réservé qu’il s’agit d’une voiture à émissions zéro ! Québec pourrait encourager cette pratique en réduisant les frais d’immatriculation, par exemple, des automobilistes qui effacent leurs émissions, tout comme il pourrait facturer par ce moyen les émissions de chaque voiture et acheter des crédits équivalents sur le marché international, développant ainsi sans frais une politique d’aide extérieure d’avant-garde.